Le Phare, Kinshasa
Les observateurs les plus lucides de la scène politique congolaise s’accordent sur le fait que pousser Vital Kamerhe vers la porte de sortie n’amènera pas nécessairement des gains politiques à un régime qui n’a jamais cessé de courir derrière l’image d’une démocratie, et auquel le président de l’Assemblée nationale servait à la fois de vitrine et de caution. Sans évidemment compter le trou que ce départ créera au sein du parti présidentiel, les conflits de positionnement que le vide suscitera dans la coalition, de même que la frustration des Congolais obligés de se rendre à l’évidence que tout ce qui est favorable au Rwanda passe toujours chez eux sans aucune difficulté. Analyse d’un plongeon dans l’inconnu. Pour tout Kinshasa, vivant de la rumeur pour se distraire de la crise économique et financière, la messe semble dite et bien dite : bientôt, Kamerhe appartiendra au passé. Ainsi en auraient décidé les tout puissants faucons qui font la pluie et le beau temps au sein du régime congolais. La capitale bourdonne en effet, depuis quelques semaines, comme une ruche en furie, des détails les plus incroyables et les plus fantaisistes sur une certaine réunion « à la ferme » avant le départ du président de l’Assemblée nationale pour Washington. Et pour que les choses soient claires, voici qu’on en est désormais à des scénarii et à des hypothèses les plus loufoques sur la succession.
En avant les godillots ! Hier enfant chéri des années Kabila père et fils, Kamerhe devrait ainsi être immolé pour un péché qui n’est pas toujours évident. On peut déjà en évaluer les premiers résultats : la République Démocratique du Congo n’a jamais tant ressemblé qu’en ce moment à la République des Humeurs et des Rumeurs. Rumeurs d’une rue qui a perdu tous ses repères, qui ne croit plus en personne et qui préfère, faute de les atteindre, se gaver des infortunes des princes. Humeurs des dirigeants qui ne mesurent malheureusement leur pouvoir et leur puissance qu’à leur capacité de nuire à ceux qui les dérangent, à élever les médiocres et à punir sans état d’âme ceux qui leur portent ombrage. Manque de pot : rien ne dit – bien au contraire – qu’en jetant ainsi Kamerhe en pâture pour consoler ceux qui ne peuvent ni égaler son intelligence et sa popularité, ni dépasser son extraordinaire bagou, cet exercice pour le moins sujet à caution permettra d’évacuer les frustrations répétitives que subissent les Congolais du fait des safaris qu’effectuent régulièrement Ougandais et Rwandais sur leur territoire. En d’autres termes, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, est-on sûr que pousser Kamerhe vers la porte de sortie comportera plus de gains que de risques ? Que le président de l’Assemblée nationale ait posé tout haut les questions qui gênent, la vérité est qu’il n’est pas le seul Congolais, dans le cas d’espèce, à avoir trouvé quelque peu suspecte une entente rwando-congolaise aussi soudaine qu’elle a tendance à se réaliser uniquement par le sommet. Mais aussi et surtout, Vital Kamerhe n’est pas le seul Congolais à avoir estimé que pour une question touchant à la souveraineté, à l’intégrité territoriale, bref à l’avenir du Congo, le minimum aurait été d’en informer la nation à travers la représentation nationale et de faire entériner l’accord, après débat, par le parlement, au lieu de mettre tout le monde devant un fait accompli, dans le genre « qui est avec moi ne peut pas être contre l’accord, et qui est contre l’accord l’est aussi contre moi ». C’est, malheureusement, ce qui est en voie de se passer, au risque d’accréditer la thèse d’un coup d’Etat contre des institutions laborieusement mises en place au bout d’un processus électoral fort discutable et qui avaient la délicate et ingrate mission de donner au pays et au monde l’illusion d’une démocratie en RDC. A la lumière des derniers événements survenus dans notre pays, force, très sérieusement, est ainsi de se poser la question de savoir combien de temps l’illusion pouvait tenir. Mais aussi à quoi peut bien servir un parlement auquel on refuse de débattre des problèmes touchant à la souveraineté nationale et auquel on ne reconnaît qu’un seul droit : celui d’être une simple chambre d’enregistrement. Atouts Kamerhe, il est vrai, n’en est pas à ses premiers démêlés avec le régime de Kinshasa. On se rappelle la tempête qu’avait soulevée, il y a plus d’une année, ses déclarations à l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique. Des extrémistes et des boutefeux professionnels n’avaient pas hésité à présenter le président de l’Assemblée nationale au mieux comme une sorte de ver dans le fruit, au pire comme un rival potentiel du chef de l’Etat. Il a fallu beaucoup de persuasion pour que l’eau coule tranquillement sous les ponts et que le courant soit rétabli pour une bonne cohésion d’abord au sein du parti présidentiel, ensuite au niveau de la coalition. Mais c’était sans compter avec les démons de la division et de la vengeance qui sont rapidement revenus à la charge pour se taper la peau de l’élu du Sud-Kivu. Pourtant, Kamerhe avait su, entre-temps, mettre tout son talent au service de l’image du régime, de la même manière qu’il avait mis beaucoup de passion et de fidélité à négocier sa survie tout au long des années difficiles d’une guerre imposée à notre pays, justement, par son voisin rwandais. Voilà pourquoi nombre d’analystes s’accordent sur le fait que si les compétences ne manquent pas au sein de la majorité pour succéder à Vital Kamerhe, le talent et l’art, par contre, dans l’exercice d’une fonction aussi délicate que celle de président de l’Assemblée nationale dans une démocratie qui reste à construire, ne sont pas donnés à tout le monde. Aux qualités de débatteur, doté d’un esprit alerte, d’une solide expérience des assemblées et d’un sens aigu de la synthèse, il faut allier la patience et le sang froid, une maîtrise indiscutable des grandes lignes de force qui traversent la scène politique ainsi que des subtiles dosages au sein de la majorité. Il faut en plus connaître le chef de l’Etat pour être en mesure de deviner, à la seconde, sa vision des choses, ses craintes, ses attentes et ses espoirs. Si Vital Kamerhe n’a pas toujours rempli sa tâche à la satisfaction de tout le monde, les observateurs lui reconnaissent cependant d’avoir réussi, du haut de l’hémicycle du Palais du peuple, à donner à l’opinion le change sur l’ancrage démocratique d’un régime qui n’a pas toujours hésité à recourir à ses vieux réflexes de brutalité – l’attaque contre la garde de Jean Pierre Bemba et l’écrasement du mouvement Bundu dia Kongo faisant foi – pour réinstaurer « l’ordre, la discipline et le respect des institutions ». Les observateurs admettent tout aussi que Vital Kamerhe a également servi de caution à une démocratie entre guillemets qui avait tendance à ne pas convaincre beaucoup de gens parmi nos partenaires, dont certains s’étaient publiquement mis – entre justice à la tête du client, tracasseries de tous genres et pratiques de corruption – à regretter d’avoir mis tant d’argent dans ce qui ressemblait de plus en plus, à leurs yeux, à un tonneau des Danaïdes. Là aussi, le président de l’Assemblée nationale a su faire la différence en donnant la voix et des responsabilités à l’Opposition, là où d’aucuns, dans son camp, ne rêvaient que d’écraser celle-ci et de réinstaller la pensée unique. Or, le talent, c’est justement cette capacité, malgré les déchaînements des uns et des autres, de présenter une solide synthèse après les débats et d’orienter subtilement les résolutions et les recommandations – sans donner l’impression de vouloir frustrer l’opposition ou de se moquer de l’opinion - dans un sens qui soit globalement favorable à la majorité. Risques Enfin, le dernier atout qu’on reconnaît à Kamerhe c’est son indiscutable ancrage électoral dans l’Est. Personne n’a oublié non seulement de quelle manière les élections générales ont été favorables à la famille politique du chef de l’Etat dans cette partie de la RDC, mais aussi et surtout quelle somme d’efforts le président de l’Assemblée avait investis dans la campagne pour que le triomphe s’y dessine de manière claire. S’il faut y ajouter le fait que Vital Kamerhe est l’un des rares ténors de la majorité présidentielle à être populaire aussi bien à l’Est, à l’Ouest qu’au Centre, on mesure non seulement le rôle qu’il peut encore être appelé à jouer dans le dispositif présidentiel, mais aussi le risque qu’il y aurait à se débarrasser d’un élément dont le départ donnerait lieu sinon à des désaffections, à tout le moins à la désillusion et à l’indifférence, toutes des denrées mortelles sur le plan électoral. Tout aussi mortel, le scénario qui obligerait Vital Kamerhe à se repositionner ailleurs que dans la famille politique présidentielle tout en s’offrant une tribune où il s’exprimerait à son aise ; à relancer les luttes de positionnement au sein de la coalition pour la redistribution des postes de responsabilité ; à donner enfin de nouvelles cartes à l’Opposition dans l’hypothèse où l’on aurait besoin d’elle pour faire passer la défenestration du président de l’Assemblée nationale. Bref, la question à ce stade n’est pas tant d’aimer ou de ne pas aimer Kamerhe. Elle consiste à examiner froidement l’état de service, à évaluer l’efficacité et la rentabilité d’une démarche qui n’est pas sans risques pour un régime dont l’image n’est pas si reluisante et qui a besoin de ceux dont le talent et la fidélité déjà éprouvées à diverses occasions peuvent lui permettre justement de continuer à donner le change à l’opinion publique comme aux partenaires. Pour le reste, il est indiscutable que le parcours de Kamerhe, qui n’a pas été exempt de faiblesses, n’était pas moins dominé par le brio avec lequel le président de l’Assemblée nationale s’est acquitté de sa tâche. La question, en définitive, sera, au-delà des compétences et du talent des uns et des autres, de savoir si l’éventuel successeur sera en mesure de nous faire oublier l’enfant terrible du Sud-Kivu, de faire autant si pas plus que ce dernier. Autrement, la catastrophe et le rire nous attendront au coin d’un coup politique aux motivations discutables.
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