"Mme Ingabire tentait de quitter le pays alors qu'elle est visée par des investigations, a déclaré Louise Mushikiwabo, porte-parole du gouvernement. Cette femme ne pense pas qu'elle doit respecter les lois qui gouvernent ce pays."
Mercredi, l'intéressée est rentrée libre à son domicile après huit heures d'interrogatoire, explique au Monde Joseph Bukeye, dirigeant des Forces démocratiques unifiées (FDU), parti que préside Mme Ingabire. "Elle voulait simplement rendre visite à sa famille aux Pays-Bas, ajoute-t-il. Mais le gouvernement veut prouver par tous les moyens qu'elle est une criminelle pour empêcher l'enregistrement de notre parti et de sa candidate à la présidentielle."
La présidente du FDU n'est pas la seule opposante visée. Frank Habineza, président du parti Vert, a été menacé physiquement et Bernard Ntaganda, dirigeant du Parti social idéal (PS-Imberakuri) a été accusé d'"idéologie du génocide".
Mme Ingabire, elle, est une femme d'affaires de 41 ans, arrivée à Kigali le 16 janvier en provenance des Pays-Bas où elle vivait en exil. Depuis le discours qu'elle a prononcé ce jour-là au mémorial du génocide des Tutsi réclamant que les auteurs des crimes commis contre les Hutu soient également jugés, les autorités l'accusent de "divisionnisme". Elles lui reprochent de contrevenir au principe qui empêche de faire référence à l'appartenance ethnique.
La vie publique rwandaise est en effet soumise à une loi de 2008 punissant de dix à vingt-cinq ans de prison "l'idéologie du génocide", un texte "rédigé en termes vagues et ambigus (...) qui muselle de manière abusive la liberté d'expression", selon Amnesty International. "Les ethnies existent au Rwanda. On ne peut pas les supprimer par une décision politique", argumente M. Bukeye
Depuis son retour, la dirigeante politique a subi une série d'attaques : victime le 3 février d'une agression probablement organisée par le pouvoir, elle a perdu son adjoint, passé à tabac puis incarcéré pour une condamnation prononcée par une gacaca (tribunal populaire jugeant les faits de génocide).
Elle est accusée régulièrement par le quotidien gouvernemental New Times d'"utiliser le même langage que les génocidaires". Il est vrai que certains de ses propos ne manquent pas d'ambiguïté. Interrogée le 2 mars par le quotidien canadien The Globe and Mail, Mme Ingabire a affirmé ne pas savoir si le nombre de victimes tutsi en 1994 était ou non plus élevé que celui des Hutu, alors qu'il est établi que les Tutsi, visés par une campagne d'extermination systématique, ont été immensément plus nombreux à mourir.
Sur la base d'un rapport de l'ONU qu'elle conteste, l'opposante est aussi accusée d'être proche des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), rébellion créée par d'ex-soldats hutu impliqués dans le génocide et qui perpétue la guerre dans l'est du Congo voisin.
"Le génocide a eu lieu voici seize ans. A présent, l'heure est venue de la démocratie", a-t-elle rétorqué dans un entretien à l'hebdomadaire kenyan The East African, que le président rwandais a qualifié d'"insultant". M. Kagamé estime que les critiques occidentales sous-estiment les risques d'un regain de violence ethnique. "Nous avons vécu les conséquences (des discours ethniques). Nous les connaissons mieux que quiconque dans le monde", a-t-il récemment déclaré.
En 2003, Paul Kagamé, avait recueilli officiellement plus de 95 % des suffrages lors de la première élection présidentielle de l'après génocide, dans un pays où l'"unité" est sans cesse célébrée.
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